Elu «Sommelier de l’année» 2020 par le GaultMillau Suisse, Edmond nous raconte son parcours dans le monde de la restauration et comment il a posé ses valises en Suisse.
Nous avons parlé vins suisses et de ses premiers coups de cœur pour ce vignoble d’une diversité incroyable. Nous avons aussi parlé de cidre: Edmond n’hésite pas à proposer des cidres de Jacques Perritaz , la cidrerie du Vulcain à la carte du restaurant gastronomique. Découvrez les réactions de sa clientèle.
Qui es-tu Edmond Gasser ?
Je suis chef sommelier au Beau-Rivage de Lausanne, en particulier pour le Restaurant d’Anne-Sophie Pic, mais j’ai aussi un regard sur les autres cartes du palace. Je suis en Suisse depuis 5 ans (en 2020), où je suis arrivé au Beau-Rivage de Genève. Auparavant j’ai fait un crochet par l’Allemagne et Paris.
Pourquoi es-tu venu travailler en tant que sommelier en Suisse ?
C’est un peu un coup du destin. J’ai rencontré Vincent Debergé qui travaillait au Ritz et, alors que j’étais en Allemagne, il m’a appelé pour me proposer une place de second au Beau-Rivage de Genève. A l’époque, j’étais sommelier donc une place de second, j’ai trouvé ça génial et je n’ai pas hésité. Il y avait aussi quelque chose de symbolique à retravailler avec lui; il avait été mon mentor au Ritz. Donc j’ai dit oui.
Je ne connaissais franchement rien aux vins suisses. Je suis arrivé 2 mois avant de prendre véritablement mon poste et j’en ai profité pour sillonner le vignoble suisse. J’ai rencontré beaucoup de vignerons extraordinaires avec de belles philosophies, des idées claires sur leur travail.
Tu aurais des coups de coeur de domaines suisses ?
Oui plein ! Genève d’abord, car ça a été le premier vignoble de mes découvertes. Je citerai de Domaine des Hutins, le Domaine Grand’cour pour sa poésie, le Domaine des Balisiers pour leurs vins bio… et le Domaine de Villard ! Ce sont vraiment les vins qui m’ont animés et je les présente volontiers à mes clients lausannois. Même si forcément sur le vignoble vaudois, c’est un peu moins bien vu (rires) ! Genève reste un grand vignoble et a fait de nombreux efforts pour se mettre à la page.
Pour le canton de Vaud, avec le magistral Lavaux et ses grands vignerons, j’ai été touché par le Domaine Louis Bovard, autant pour les vins que pour la personne, ainsi que pour la profondeur et la culture du vieillissement. Il y a aussi les vins des Frères Dubois, du Domaine Mermetus… (d’autres à découvrir dans la vidéo dès 2:06).
Ce qui est merveilleux, c’est que dans les phases de découverte, comme je l’ai été, on n’a pas d’idées préconçues et on construit vraiment avec les rencontres.
Beau-Rivage Palace et Restaurant Anne-Sophie Pic, deux établissements en un ?
C’est un peu particulier: le restaurant Anne-Sophie Pic est au sein du Beau-Rivage Palace. Ce sont deux entités très fortes à respecter, avec des auras très puissantes. On a l’histoire de la cheffe d’un côté et l’histoire du palace de l’autre. C’est un cocktail particulier, avec lequel il faut jouer. Il faut dès le départ être très dynamique pour faire fonctionner les deux ensembles, de manière cohérente.
Le client quitte pour quelques heures le cocon du Beau-Rivage Palace pour le cocon du Restaurant Anne-Sophie Pic, à table. Ils rentrent dans l’univers de la cheffe. Ca doit vraiment être compris comme des expériences à part, différentes l’une de l’autre.
Comment sont les relations avec Anne-Sophie Pic ?
Ca se passe très bien ! C’est une personne avec une ouverture d’esprit remarquable. Elle se soucie du bien-être de chacun et est très curieuse de ce qui se fait, du terroir suisse… C’est impressionnant à ce niveau, de garder une disponibilité comme ça. Nous avons une grande chance.
Elle est amatrice et grande dégustatrice de vins ! C’est une personne qui écoute beaucoup et a une perception personnelle très précise des choses. Après s’être fait sa propre idée, elle a une grande faculté à mettre des mots précis sur ses sensations. C’est très enrichissant car ça nous donne une ouverture supplémentaire.
Comment considères-tu le cidre ?
C’est un produit qui me fascine. C’est un produit ancien et qui a été longtemps très mal compris, et mal considéré. Il a longtemps eu cette image de produit de soif absolue, dans le genre « je m’envoie des litres », sans recherche de complexité.
Mon premier vrai contact avec le cidre ça a été avec Eric Bordelet, quand j’étais à Paris. Il a surement été un des premiers à ramener le cidre à table et à concevoir des cidres sur les mêmes bases que le vin: millésimes, variétés de pommes, terroirs… avec des prises de mousse toujours plus fines, où la bulle s’efface tout doucement pour laisser place au « jus ». Exactement comme sur les grands champagnes.
En Suisse, évidemment, je citerai Jacques Perritaz. Il a une approche qui rend ses cidres plus funky, mais toujours précis. J’ai eu des vrais coup-de-coeur sur ses poirés et ses cidres secs. Je pense que ce sont les cidres secs, ou légèrement tendres, qui sont les plus aptes à se présenter à table. La pomme a un vrai message à communiquer sur les cidres secs.
Quels sont les retours de la clientèle sur le cidre ?
Les gens sont surpris. Il y a peut-être une idée qu’un cidre sur la carte d’un palace ou d’un Restaurant Anne-Sophie Pic, ça n’a pas lieu d’être. En réalité, quand on explique et qu’on présente le cidre, dans sa complexité (millésime, pommes, terroirs…) et son potentiel comparable au vin, cela fonctionne. C’est clairement notre travail de sommelier que de donner toute sa place au cidre.
Tu aurais un accord met-et-vins ludiques ?
J’ai été marqué par certains accords particuliers dans les différents établissements où j’ai travaillé. Au Georges V, je repense aux vieux madères sur la truffe mariée à la volaille. C’est devenu un très grand souvenir.
En Allemagne, je me souviens des écrevisses sur un traminer. Assez surréaliste, parce que je pensais que la chaire, si fine, se ferait trop bousculer par un traminer. En réalité, la légère tendresse de ce vin avait une très belle capacité à jouer avec la texture de l’écrevisse. C’était une bisque, avec un peu de cannelle, donc avec un très bel écho des aromatiques.
En ce moment, on s’amuse avec une bière de la Brasserie du Salève, infusée au cédrat. Elle a un profil très frais et très tonique. Nous la présentons avec une féra fumée, avec un travail autour des haricots et la fleur d’oranger. C’est un accord très estivale. La bière arrive au milieu du repas et on quitte totalement le cliché de la bière apéritive. C’est une vraie bière de table.
C’est quoi le prochain grand sujet en sommellerie ?
J’aimerais qu’on s’intéresse aux options sans-alcool. C’est un monde auquel je m’intéresse et les opportunités sont énormes. Dans la profession on l’a plutôt mal exploité jusqu’à présent. On trouve des produits aussi qualitatifs que le vin: des jus, des infusions, des décoctions… De plus en plus de personnes doivent limiter leur consommation d’alcool pour diverses raisons et ces clients ne doivent pas se sentir être mis sur la touche.
Le sommelier va avoir tendance, inconsciemment en fait, à s’adresser à la personne qui va prendre du vin. On doit pouvoir porter la même attention aux gens qui ne boivent pas d’alcool dans nos établissements. C’est bien de boire de l’eau minérale mais ça m’intéresse moins. Il faut des alternatives à proposer, hors des jus trop sucrés et des boissons chaudes. Je pense qu’il y a besoin d’inventivité dans ce domaine.